Gare à toi

Il jette un regard à la ronde, puis à sa montre. Il n’y a pas grand monde sur le quai. Il marche quelques pas et consulte l’écran pour la dixième fois. C’est le bon. Le train est à l’heure. Il regarde sa montre de nouveau. 10 minutes. Il se retourne vers le banc sur lequel il a posé son sac et le bouquet. Pas trop de risques qu’on le lui vole, mais sait-on jamais.

Il y a un petit couple assis sur un autre banc, un peu plus loin. Ils ont l’air heureux. Elle lui manque. Même pour quelques jours, c’est dur de ne pas l’avoir entre ses bras. Et les messages, ce n’est pas la même chose. Il regarde ce que propose la machine. Du sucre, en gros. Du sucre en barre, du sucre en gélatine, du sucre à boire… Bon, il ne va pas se la jouer ministère de la santé mais quand même… Il hésite à lui acheter du coca. Elle aime le Coca, allez comprendre. Enfin non, elle adore ça, plutôt. Elle fait des offrandes quotidiennes au dieu du Coca, il en est certain. Ce qu’elle y gagne, il n’en sait trop rien, mais ça a l’air de lui réussir. Un train passe sur la voie d’en face. Céréales. Ça n’en finit pas, wagon après wagon. Les gens, c’est dans des voitures, mais la marchandise, c’est des wagons. Il aime bien les trains. Pas au point d’en avoir rêvé quand il était gosse, mais il adore les voyages en train. Un jour, ils feront le Transsibérien, il en rêve. Ou l’Orient Express, sinon. Ou les deux.

Il regarde la machine de nouveau. Pas de coca, de toute façon ils vont aller manger tout de suite. Elle aura faim, et son estomac à lui a déjà commencé à s’auto-digérer. Il y a un jardin pas loin, il les y voit déjà, à l’ombre, sur un banc. Il a Brassens dans la tête, maintenant. Il s’assied. Pas longtemps, il a la bougeotte. Si elle savait, elle se moquerait. Il rajuste le plastique autour des fleurs. Ça fait très cliché mais il espère que ça lui plaira quand même, son homme qui l’attends sur le quai de gare, le bouquet à la main. C’est romantique, et il aime à croire qu’il l’est un peu. Il se lève et vérifie qu’il est au bon endroit. Ils sont bien gentils, à la SNCF, mais mettre les écrans à l’équerre par rapport au quai, ça n’aide pas à se repérer. Voiture 18, elle a dit. ABCD… Moui, ça a l’air d’être ça. Il rajuste sa chemise. Pfff, il est presque stressé, il se croirait revenu à l’adolescence. Cinq minutes. Toujours pas grand monde sur le quai. Tant mieux, il ne risque pas de la rater.

D’ailleurs, romantique ou pas, il ne va pas la rater, dans un autre sens. Elle n’est partie que quelques jours et ça a suffi pour qu’elle fasse son quota de bêtises pour le mois. Il va la faire mariner un peu. Prendre son temps pour rentrer à la maison. Il lui a dit de mettre une robe pour rentrer, et il compte bien en profiter. Les jardins, c’est plein de petits recoins isolés, et il a déjà pensé à quelques rues tranquilles par lesquelles passer. Puis, de retour à la maison, il a déjà posé une sélection d’instruments sur la table basse, devant le canapé. Elle sait qu’elle sera punie, elle ne sait pas comment ou à quel point, mais elle sait. Elle est obéissante, quand même, elle confesse toujours ses errements. Il lui fait confiance, et ça lui fait plaisir qu’elle soit honnête avec lui. C’est la fondation de leur couple, il aime bien le lui dire. Elle lui manque. Deux minutes.

Peut-être qu’il lui demandera de se changer avant, tiens. Mettre des petits dessous. Après tout, il n’y a pas que la fessée qui lui fait très envie, là, il y a une ribambelle d’autres choses. Il aime bien qu’elle garde son soutien-gorge, ses bas… Le côté un peu « bourgeoise dévergondée », il adore. Il se lève et rajuste son pantalon. Pff… Un ado… Il prend les fleurs et laisse son sac. Le petit couple s’embrasse. Allez, elle sera bientôt là. La fameuse voix de la SNCF tonne. Il voit le train au loin. À l’heure ; comme quoi, ça arrive. Il passe les fleurs dans son dos. Arrivé là, autant faire cliché jusqu’au bout, et comme ça elle ne les verra pas par la fenêtre en attendant sagement de descendre.

Le train arrive en gare. Il s’arrête. Les portes s’ouvrent, les passagers commencent à descendre. Il jette un oeil vers les autres portes, en espérant avoir choisi la bonne. Les secondes lui semblent longues. Il espère qu’elle ne s’est pas endormie. Il se mord légèrement la lèvre. Non, la voilà. Sa Julie. Elle a un grand sourire. Il le lui retourne. Qu’est-ce qu’elle est belle. Il lui laisse les fleurs et prend sa valise.

« Tu verras, j’ai tout prévu ! »